LETTRE DU HAUT-PLATEAU - LAURENT MARGANTIN

Plateau du Larzac, cet après-midi.

LETTRE DU HAUT-PLATEAU

La fenêtre s’est ouverte sur le pays pétrifié,
vent tiède du soir, souffle apaisé du monde.

Je voudrais te parler de l’immensité ruiniforme de ces lieux,
mais comment t’écrire, depuis cette terre qui efface les signes ?

Arrivé ici, on te présente les morts :
le hameau compte deux douzaines d’âmes,
dont les trois-quarts sont domiciliés au cimetière,
charmant petit cimetière au muret effondré
(lugubre, comme il se doit, la nuit)
sis entre l’ancienne école et l’église bouclée.

Marchant entre les tombes,
j’ai cherché en vain à lire quelques noms, quelques dates.
Marchant entre les tombes,
j’ai pensé à ces visages disparus dans la pierre granulaire,
érodés avec elle, dévorés par les vents.

Au-delà des maisons, sur la plaine,
nombreuses sont les pistes qui, au milieu des chardons
et des buis, conduisent à des rochers écroulés,
à des murailles dolomitiques détournant l’aller.

Je me suis lentement repéré dans ce chaos.

J’ai appris à reconnaître les failles 
cachées par quelques arbustes...

Je me suis même représenté, quelquefois,
sous mes pieds, le dédale calcaire,
envisageant ce gouffre avec calme.

Je me suis approché, semaine après semaine,
de ce qui ne respire pas, ne croît pas, ne s’épanche pas,
de ce qui se défait et s’effondre au fil des jours pluvieux ou secs.

J’ai oublié toute statuaire, toute forme, quelle qu’elle soit,
inventée dans la pierre par un homme.

Et s’est développé en moi, imperceptiblement,
ce que j’ai cru juste d’appeler
une conscience minérale, ouverte à la beauté de l’informe.

LAURENT MARGANTIN
Cahiers de géopoétique, numéro 5, 1996

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