Le cabinet de curiosités VIII


Cet épisode illustre une vieille histoire du Larzac, celle du chien noir. Nous y parlons également avec Patrick de la déchèterie de Millau. Bien sur, le problème est toujours d'actualité. Je veux parler de la déchèterie, bien sur.




La légende du chien noir de la Pézade


Attention ! L’histoire pourrait commencer par «  Il était une fois… ». Mais ce n’est pas une légende. Selon Arthur Castanier, dans le pays de l’Hospitalet, sur le Larzac, on croyait dur comme fer, voici quelques années encore, à la malédiction du chien noir qui s’abattit sur un pauvre bougre sans qu’il puisse sans défaire.

Louisou de Ribaou avait une vingtaine d’années quand il se loua, comme domestique, dans une ferme du Larzac : le mas de Lubac. Quelques mois après sa venue, ses maîtres égorgèrent leur porc et, comme il manquait du sel à sa préparation, on envoya Louisou en chercher à La Pezade. Chemin faisant, il rencontra un de ses anciens camarades, chargé d’un sac à moitié plein.

« Où vas-tu donc avec ce sac ?, fit Louisou.

- Le porter au pied de la croix des Infruts.

- Et pour qui donc ?

-Pour le chien noir… C’est la ration de sel que lui doit chaque année la ferme de La Salvetat où je suis domestique.

- Du sel pour le chien noir ? Je vais justement à La Pezade en chercher. Pourtant, si ton sel doit être perdu, fit-il, gouailleur, au lieu de m’appuyer une heure de marche encore, je puis t’assurer que je préférerais m’en charger moi-même et m’en retourner.

- De cela garde-t-en bien, fit l’autre. Car si tu volais le sel du chien noir, celui-ci te jouerait un vilain tour. »

Louisou se mit à rire.

« Tu y crois donc à ton chien noir, grand nigaud ? »

Lui, ne croyait ni au Diable, ni aux récits fantastiques qui se répétaient sur le Larzac. Aussi suivit-il, discrètement, son compagnon jusqu’à la croix des Infruts, et, lorsqu’il le vit, après avoir déposé le sac de sel, s’en retourner prestement à La Salvetat, il ne fit ni une ni deux,il s’empara vivement du sel destiné au chien noir…

Le crépuscule tombait et, avec lui, un brouillard épais commençait à s’étendre peu à peu sur le Larzac.

A peine Louisou de Ribaou avait-il fait une certaine de mètres, le sac de sel sur son épaule, qu’il lui sembla entendre, dans le lointain, comme un hurlement de chien. L’histoire du chien noir lui revint à la mémoire.

« Bah ! se dit-il, c’est quelque labri sur la route de La Couvertoirade qui appelle son maître… »

Mais voilà que tout à coup, devant lui, se dressa quelque chose d’énorme, d’imprécis, faisant une tache sombre dans le brouillard…

« Holà ! fit Louisou en redressant la tête et levant son bâton : Si tu es le chien noir, approche un peu que je parle aux oreilles ! »

Ce n’était qu’une illusion, du moins le crut-il ainsi. Et il continua son chemin. Parvenu au mas de Lubac, il remit la provision de sel à ses maîtres qui en disposèrent aussitôt à leur gré.

Mais Louisou de Ribaou n’était pas parvenu au bout de son histoire. Dans la nuit, tout à coup, il fut réveillé par des aboiements terribles qui emplissaient la ferme. Il se leva, hagard, car le souvenir du chien noir lui était aussitôt revenu ; à peine était-il habillé, que ses maîtres parurent dans sa chambre.

« Qu’est-ce-donc que ces hurlements ? firent-ils. Nos chiens sont à la bergerie avec les brebis et aucun d’eux, d’ailleurs, n’aboie de la sorte… »

Ils descendirent tous  dans la vaste salle  du rez-de-chaussée qui servait de cuisine, mais, à ce moment, les aboiements se répercutèrent dans le grenier ; on monta au grenier, rien ; les aboiements reprirent alors en bas, plus furieux que jamais…

Louisou comprit bientôt qu’en tout cela le chien noir devait être pour quelque chose.

Au jour, une surprise bien plus grande attendait le monde : les quartiers de porc salés la veille ne se trouvaient plus au saloir et, avec eux, avaient disparu toutes les préparations culinaires de la ferme : saucisse, boudins, pâtés, graisse et grattons !

Les maîtres du mas de Lubac, comme on peut le penser, furent complètement atterrés d’un tel désastre. Qui donc avait pu leur ravir, ainsi, toutes leurs précieuses réserves d’hiver ? Les hurlements de la nuit n’avaient-ils été que diversion d’un vol qui paraissait toutefois inexplicable ? Hélas ! Toute l’affaire resta bien énigmatique, et les malheureux fermiers furent dans l’obligation d’égorger leur second porc – celui qu’ils pensaient vendre à la foire de la Sainte-Mélanie à Saint-Jean-du-Bruel -, s’ils voulaient avoir de quoi manger.

Pour la salaison de ce deuxième porc, Louisou reprit le chemin de La Pezade, mais en arrivant à la croix des Infruts, son étonnement fut extrême d’y apercevoir un gros chien noir assis sur son séant qui le regardait arriver :

« Et mon sel ? Quand donc me rapporteras-tu le sel que tu m’as volé ? », lui dit le chien noir lorsque Louisou fut près de lui.

En entendant parler ce chien, Louisou sentit sa gorge se serrer ; il voulut répondre, mais de sa bouche ne sortirent que des hurlements pareils à ceux entendus la nuit précédente tandis que le chien noir le regardait avec des yeux terribles pleins de feu.

Après cette aventure, Louisou de Ribaou quitta le mas de Lubac. Il chercha une autre ferme et, l-hiver qui suivit, il se maria. Par une coïncidence malheureuse, le jour de son mariage correspondit avec le jour anniversaire de la rencontre du chien noir de la croix des Infruts et, toute la nuit de ces noces, il aboya devant sa femme épouvantée qui en mourut de frayeur huit jours après.

La malédiction du chien noir le poursuivit toute sa vie. Chaque année, à la même date de ce jour, Louisou de Ribaou poussait les mêmes hurlements que seule la mort parvint à faire taire.



L’Aveyron Secret de Jean-Michel Cosson et Jean-Philippe Savignoni

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